Fierté, sens du collectif, apaisement : les jeux olympiques, un tremplin pour le soft power français
Cérémonie d’ouverture mémorable, exploits sportifs en pagaille, organisation fluide, festive et saluée à l’international… On peut désormais l’affirmer, les JO de Paris ont été un succès. Mais comment capitaliser sur ce dernier ? Après avoir sondé les Français, Laurence de Nervaux, directrice de Destin Commun, et Jörg Müller, chercheur au Centre de recherche pour l’étude et l’observation des conditions de vie (Credoc), dessinent des pistes.
La fierté : voici le sentiment qui habite les Français au sortir des jeux olympiques. Dansl’étude menée par le think tank Destin Commun auprès de 2000 répondants, dont 12 participants à une enquête qualitative, les enquêteurs ont demandé quelle était la principale émotion ressentie pendant les jeux. « La fierté arrive en tête, de très loin et au sein de tous les électorats », présente Laurence de Nervaux, directrice du think tank. « La dimension de fierté nationale est la première mention positive », abonde Jorg Muller, qui a conduit une étude sur le sujet.
« La défaite du défaitisme » D’abord, la fierté d’une réussite « matérielle et logistique » de l’événement, déroule Laurence de Nervaux. « Cette dimension a été vécue comme un immense soulagement. Elle a été accentuée par un sentiment de surprise, lié au fait d’avoir déjoué les innombrables pronostics d’échec qui ont occupé les débats publics et les médias les mois qui ont précédés les JO. Le transport, l’accueil du public, mais aussi des polémiques construites comme les puces de lit… Il y avait un sentiment d’angoisse généralisée et on a l’impression d’avoir déjoué l’adversité. »
Ensuite, la réussite sportive avec un tableau des médailles records et la « surprise de s’être passionné pour des disciplines dont on n’avait jamais entendu parler auparavant », continue-t-elle. Enfin, « la beauté comme source de fierté ». De la cérémonie d’ouverture aux sites des épreuves, le patrimoine français a été mis en valeur par les organisateurs. « Les Français se sont laissé surprendre par la splendeur de leur capitale, de leur patrimoine et ils en ont été extrêmement fiers. »
« Ce qui a été retenu, c’est la dimension 21ème siècle, analyse quant à luiJörg Müller. Cet événement a une histoire mais il ne s’est pas inscrit dans ce 20ème siècle un peu dépassé, industriel, consumériste. On ouvre l’événement sportif au spectacle, on le lie aussi à des valeurs sociétales : la mixité, la question des genres. Ces sujets ont été présents notamment dans la cérémonie d’ouverture, et perçus positivement dans la presse internationale. »
Dans un contexte politique et sociétal assez morose, cette fierté a une portée « quasiment géopolitique », analyse Laurence de Nervaux. « 55% des Français nous disent que les JO ont renforcé leur confiance dans la capacité de la France à faire face aux défis. Or, la grande entreprise de désinformation que mène par exemple la Russie vise à saper notre confiance en nous-mêmes en tant que pays et donc à nous déstabiliser. Cette réussite a eu pour effet de renverser la vapeur. C’est la défaite du défaitisme français. »
Des Français à la recherche d’apaisement
La cérémonie, orchestrée par Thomas Jolly, et produite par Panama 24, consortium de d’agences évènementielles, a été un symbole de cette réussite. Les valeurs d’inclusion et d’ouverture ont particulièrement été notées. « Les participants ont souligné l’effort de recherche de diversité culturelle et générationnelle dans le choix des artistes et des références mis en valeur dans les cérémonies », détaille Laurence de Nervaux. La recherche d’inclusion des personnes en situation de handicap et une plus grande parité ont aussi été source d’optimisme. « Le traitement important des jeux paralympiques a été une autre bonne surprise pour les Français. »
Autre dimension particulièrement appréciée par les répondants de Destin Commun : l’authenticité et l’humilité des athlètes. Loin de l’image de sport business de pratiques davantage médiatisées, football en tête, les spectateurs ont apprécié des athlètes qui « la sincérité de la parole des athlètes a contribué à l’enthousiasme, avec une forme de proximité qu’on aurait, par contraste, perdue dans la parole politique. (…) Les athlètes restent simples, montrent l’esprit sportif et ne sont pas rôdés à l’exercice médiatique. »
De ces valeurs sportives, les Français espèrent voir perdurer le respect : celui des règles mais aussi celui des autres et de son adversaire, relate Laurence de Nervaux. « Dans les études qu’on mène, cette demande de respect, cette frustration ressentie comme un déficit de respect dans la société française, est souvent exprimée spontanément. » Les politiques ne s’y sont pas trompés, souligne la directrice : les mots « respect et humilité » ont beaucoup été employés par Michel Barnier depuis le début de sa nomination.
Dans l’ensemble, c’est une envie d’apaisement qui transparaît des témoignages. « Bien au-delà de ce sujet des JO, c’est systématique dans nos enquêtes. 9 Français sur 10 considèrent que le débat public est trop agressif et que l’information est trop anxiogène. Le problème c’est que cela a un effet performatif : ça induit un sentiment de peur de l’autre, de défaitisme qui nous empêche d’entreprendre des rapprochements. »
Réappropriation des symboles
Selon Jörg Müller, les JO sont avant tout un soft power intérieur. “C’est historiquement un instrument de soft power international qui s’est transformé qui sert plutôt aujourd’hui à renforcer la cohésion sociale et à ressouder le collectif des citoyens à l’intérieur du pays organisateur, poste-t-il. À l’extérieur, notamment dans la presse internationale, l’impact a été sur le moment. Je ne sais pas si ça a laissé des traces durables. ” Au sein du pays, les JO sont particulièrement efficaces notamment parce que l’événement est a priori apolitique. « Le sport est extrêmement populaire, fortement médiatisé, il contient une dimension universelle, un lien étroit avec la nation et il est d’apparence politiquement neutre, analyse Jörg Müller. Il est porté par la nation tout entière, et constitue une surface de projection et d’identification au plus grand nombre. »
Laurence de Nervaux abonde. « C’est un événement qui n’est pas partisan mais qui a une portée politique au sens de la vie de la cité et de notre représentation collective. On ne défend pas un parti ou un programme mais notre fierté de ce qu’est notre pays, de ce qu’il représente dans le monde ; et cela a été fragilisé ces derniers temps. »
Les divisions partisanes dépassées, les Français souhaitent renouer avec les symboles de la nation. « C’est unanime, il y a une demande de réappropriation et de revalorisation. 78 % estiment que le drapeau est un symbole d’unité et qu’il devrait être valorisé au-delà des temps forts sportifs, et 77% le pense de la Marseillaise. Là encore, il s’agit de tous les électorats confondus alors que depuis quelques années, notamment en ce qui concerne le drapeau, il y a eu des mouvements d’accaparement du symbole républicain par certaines familles politiques, ce qui fait que d’autres familles s’en sont détachées. C’est très problématique car le drapeau doit appartenir à tous les citoyens français et rester un symbole d’unité (…) Ces jeux ont démontré qu’il est possible de raviver une fierté qui soit patriote sans être nationaliste. »
Vivre ensemble
Comment faire perdurer cet enthousiasme et envie d’optimisme de la société française ? L’événementiel peut être une partie de la réponse. D’abord en créant des occasions de vivre ensemble. « Une femme partageait avoir eu la chair de poule en chantant l’hymne national avec 20 000 personnes, raconte Laurence de Nervaux. Vivre la même chose au même moment est important, il faut entretenir des occasions de vivre ensemble, du grand collectif, de regarder ensemble dans la même direction. C’est essentiel pour cultiver le sentiment d’appartenance à une nation. Ça peut être des temps forts sportifs mais aussi des temps forts culturels ou républicains. »
Ensuite, parce que « l’évènementiel peut jouer un rôle extrêmement puissant pour faire évoluer les représentations », estime la directrice. « Personne ne s’attendait à ce que la cérémonie d’ouverture ait un tel impact, un tel retentissement sur la psyché national. Ces quelques heures dans la vie des Français – plusieurs années de travail pour toutes les personnes qui l’ont organisé – auront un impact phénoménal dans notre représentation de nous-même et notre fierté de notre pays. (…) L’équipe de Thomas Jolly a montré à quel point on peut dépasser les contraintes, y compris les codes de l’événementiel, notamment pour mettre au centre de la représentation visuelle différentes formes de handicaps. » Créer une société plus inclusive, plus collective et plus optimiste : chiche ?
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