Après de longs mois d’hibernation subie et de réinvention forcée, la communication événementielle montre déjà des signes de transformation profonde dans ses formats, ses contenus, et ses modalités. Qu’en sera-t-il dans six mois ? Pistes de réflexions à travers trois scénarios élaborés avec la contribution d’Armand Caiazzo, Associé fondateur de l’agence de communication événementielle Human n’ Partners.
2022 — HYBRIDATION
3 janvier 2022. « Cette fois, ça y est ! ». Grâce à un nouveau coup d’œil attentif aux chiffres du jour, Amanda en est désormais certaine : après des mois d’inquiétude de la part du géant du sVOD, Fortnite vient de dépasser Netflix en termes de nombre d’utilisateurs actifs. Cela peut paraître anodin pour certains, mais pour elle, la nouvelle veut dire beaucoup. À la tête du pôle Expériences d’une agence événementielle lyonnaise, Amanda prépare depuis des mois sa nouvelle offre d’expériences événementielles interactives inspirées du gaming. Et si la victoire de Fortnite sur Netflix est un symbole fort pour asseoir son projet, il n’est qu’un signal parmi d’autres : ces derniers mois, l’événementiel a plus que jamais investi les mondes virtuels pour y tenir concerts, meetings, et expériences immersives.
Du point de vue d’Amanda, le temps presse : les annonceurs étant avides d’investir ces nouveaux mondes, il est impératif que son industrie puisse les épauler dans le design d’expériences singulières taillées sur-mesure pour les espaces virtuels. Un objectif qu’elle compte bien atteindre en recrutant de nouveaux profils venus du gaming : des level et characters designers, des world builders, des organisateurs e-sport, et même des artistes spécialisés dans les happenings numériques.
Pour Amanda, pas question pour autant de grignoter les audiences des professionnels du jeu vidéo. Ce serait mission impossible. C’est du côté de la télévision qu’elle compte abattre ses cartes, en récupérant les téléspectateurs lassés de rester inactifs devant leurs show tv. En couplant ses compétences en événementiel avec le piment du gaming, le tout servi par un équipement à la hauteur des studios de tournage, elle le sait : toutes les chances sont de son côté.
Ce qu’il faut retenir :
— L’événementiel a une place à prendre entre les mondes du gaming et de la télévision
— Les événements culturels ont été nombreux à se tenir dans les mondes virtuels de jeux vidéo pendant le confinement
— Dans ses formats digitaux, la communication événementielle se montre plus interactive, expérientielle et créative
2022 — DÉLOCALISATION
28 mars 2022. Dans la ville de Colomiers, Clémence attrape un café, son smartphone et son ordinateur et s’installe dans la loggia de son appartement. Il est presque 9h, le moment est venu de se connecter au flux vidéo du salon national des professionnels de son secteur. CEO et cofondatrice d’un studio de développement de jeux vidéo, Clémence est aussi trésorière du Toulouse Game Show depuis deux mois. Avide de s’inspirer du regard de ses pairs sur le métier, et de nouer des contacts avec l’écosystème local, elle rejoint le site web du salon, et rentre sa localisation : la voilà connectée à l’édition occitane de l’événement.
Après 8 éditions organisées dans l’immense hall d’un parc des expositions de région parisienne, le salon a opéré sa mue cette année, en se fragmentant en 13 micro-salons régionaux. Une décentralisation qui lui permet de se rapprocher de l’ensemble des professionnels à l’échelle de tout le pays, et de proposer des contenus plus concrets et “de terrain” aux participants. Les organisateurs laissent également le choix aux visiteurs de suivre physiquement l’événement au chef-lieu de leur région ou, comme Clémence, d’y participer depuis chez eux. Autant de libertés qui permettent de proposer, à l’échelle de l’Hexagone, une expérience sur-mesure à chaque visiteur.
Clémence ne suit pas une simple digitalisation de l’événement : elle participe à un digital réévénementialisé, dans lequel sa participation active est non seulement possible, mais aussi vivement souhaitée. Keynotes expérientielles, Q&A interactives, rooms de réseautage façon ClubHouse : tout est mis en place pour que la richesse du parcours et du regard des participants vienne alimenter l’événement.
Ce qu’il faut retenir :
— La fragmentation des traditionnels grands raouts en micro-événements
— La proximité territoriale s’invite dans l’événementiel
— Des événements sur-mesure pour toutes les réalités territoriales
— Le multiplex interactif balaie les formats traditionnels passifs
2022 — FRUGALISATION
3 janvier 2022. Dans le train Bordeaux – Paris, dernier wagon, deux trentenaires travaillent sur leurs laptops. Côté fenêtre, Jonah, traducteur freelance implanté dans les Landes, file rejoindre les bureaux de son principal client : l’année de l’entreprise commence avec une semaine de séminaire interne et pour une fois, il est invité. Côté couloir, Amanda, Chief Freelance Officer depuis 2 ans chez ledit client, rejoint ses bureaux après trois semaines de télétravail sur le Bassin d’Arcachon. Le sourire aux lèvres, ils échangent sur leur plaisir de retrouver leurs binômes en chair et en os, et de soigner leur Zoom fatigue le temps d’une semaine.
Depuis la crise sanitaire et ses confinements successifs, la frontière s’est estompée entre les internes et les externes : après tout, qu’est-ce qu’un télétravailleur, sinon un freelance qui n’a qu’un seul client ? D’ailleurs, c’est grâce à Amanda que les freelances comme Jonah sont conviés cette année : le résultat d’un gros travail de lobbying auprès de sa RH, pour défendre l’idée que l’esprit d’équipe et la culture d’entreprise concernent tout le monde. Et que dans un contexte où tout le monde travaille à distance, le statut importe peu.
Accueillant presque deux fois plus de participants, ces séminaires XXL auraient dû coûter plus cher. Trop cher, même, dans un contexte post-crise encore marqué par une forte fragilité financière. Heureusement, des solutions sont désormais sur la table : “ville du quart d’heure”, Paris a généralisé la mixité fonctionnelle des espaces et la chronotopie – l’usage différencié d’un lieu selon la temporalité. Les espaces de travail des uns sont désormais les lieux de fête des autres. Une modularité bienvenue dans un monde du travail où les besoins et les sujets ne cessent d’osciller.
Ce qu’il faut retenir :
— La zoom-fatigue des salariés a renouvelé leur appétence pour l’événementiel interne professionnel
— Le team building et les séminaires se réinventent pour sauver les cultures d’entreprises écrasées par l’uniformisation du télétravail
— Le secteur événementiel s’empare de nouveaux espaces à la mixité fonctionnelle
— La contrainte d’unité de temps et de lieu de l’événement se lève peu à peu
2022 — OUVERTURE
5 mai 2022. Dans une gare du sud de la France, une vague de vingtenaires déferle dans le hall, tous vêtus de chemises fleuries et de pantalons en toile. Le train duquel ils viennent de descendre ne les emporte pas vers Coachella, mais en direction de la soirée de clôture d’un long voyage, entamé neuf mois plus tôt aux côtés de leur marque de location de vêtement préférée. Pour cette dernière, la période est cruciale : il s’agit de dresser le bilan des deux années singulières écoulées depuis le début de la crise sanitaire, et de tirer des lignes dans l’avenir. Plus largement, l’événement marque la dernière étape d’un chemin amorcé en 2018 avec la définition d’une raison d’être et prolongé en 2019 avec des ateliers internes de réflexion collaborative. Après les salariés, c’est au tour des consommateurs de co-concevoir l’avenir de leur service.
Ces neuf derniers mois, lesdits clients de la marque n’ont pas chômé. De fait, leur abonnement au service de location de vêtements comprend des privilèges – tarifs préférentiels, voix au Conseil d’Administration, formation aux enjeux du secteur, etc. – mais aussi une obligation : participer à des ateliers d’idéation pour parler de leur expérience avec le service et ses produits. Design fiction, brainstorming, world-building, rédaction de scénarios futuristes, test de nouveaux produits : chacun choisit le type de session auquel il souhaite participer, à distance comme en présentiel. À leurs côtés, des professionnels issus de tous secteurs participent à la réflexion : des urbanistes, des sociologues, des peintres, et même des adeptes de sport extrême. Aujourd’hui, l’heure est au rassemblement pour un grand bilan, dans une atmosphère légère, créative et festive.
Devant la montée de ce nouveau modèle, les formats événementiels du “monde d’avant” n’en finissent plus de reculer. Finies les conférences assises et passives, les cocktails futiles et ponctuels, les happenings éphémères et leurs distributions de goodies : désormais, être client d’une entreprise, c’est partager son projet d’avenir.
Ce qu’il faut retenir :
— La communication événementielle s’éloigne des formats “snackables” au profit d’événements ancrés sur le long terme
— Le milieu s’ouvre à d’autres profils issus de secteurs variés pour permettre à la communication événementielle d’aller toujours plus en profondeur dans les contenus
— Les rassemblements dépassent leur fonction de “vitrine” pour permettre aux participants d’être actifs face aux contenus qui leurs sont proposés
